Sur leur nouvel album, Wrong Enemy, les Strasbourgeois The Walk s’en prennent à nos démons…
Je suis parti, un matin. Le jour ne s’était pas encore levé. J’ai laissé mes affaires où elles traînaient, ne gardant que le strict nécessaire. J’ai brûlé les lettres, les photos et tout ce qui aurait encore pu me retenir et puis je suis parti en tournant le dos à ceux qui n’avaient pas su m’aimer assez. J’ai marché sans me retourner. A mesure que j’avançais, je me dépouillais de mon passé. J’étais comme un mur dont on décolle la tapisserie. Bientôt, je me suis retrouvé nu. Je n’avais plus de liens, plus de famille, plus de nom. J’étais une page blanche en mouvement, un prince marchant sans couronne ni royaume.
C’est alors qu’ils sont apparus. Sur mes lèvres desséchées, ils ont posé leurs mots, ces prophètes du malheur. Ceux qui n’ont pas su t’aimer, m’ont-ils dit, sont tes pires ennemis. Crois en nous. Nous te comprenons, nous saurons t’aimer comme il faut. Et moi, je les ai crus. Je me suis mis à détester avec ferveur ceux qui m’avaient déçu. Maintenant que j’avais des ennemis, je me sentais vivant à nouveau. J’étais perdu et ils m’ont montré le chemin. J’ai fermé les yeux, gommé mes faiblesses et laissé leur dieu guider mon bras vengeur. J’ai déversé ma haine sur ceux qui n’ont pas su m’aimer. J’ai détruit leurs idoles, confisqué leur avenir.
Je m’en rends compte à présent, je faisais fausse route. L’ennemi, c’était moi, ou plutôt la colère qui grondait dans mes entrailles. Si j’avais su la maîtriser plutôt que de la laisser entre des mains malignes, je ne me serais pas attaqué aux mauvaises personnes. Mais parfois le plus grand des mensonges est plus tentant que la froide vérité. J’ai détesté ceux que j’aimais parce que je ne savais pas m’aimer moi-même. Je me suis refusé le bonheur qui me tendait les bras, je ne m’en sentais pas digne.
Le Wrong Enemy de The Walk, c’est d’abord celui qu’on s’invente par paresse, par ennui ou par peur. Quelqu’un sur qui rejeter la faute de nos propres limites, de nos inconséquences, de nos démons. De quoi alimenter le feu qui nous dévore. La musique des Strasbourgeois se nourrit de ce combustible et de la tentation primaire de s’y consumer. Rythmiques fiévreuses et riffs tapageurs procurent la sensation de cheminer sur un minuscule sentier bordé, de part et d’autre, de volcans en fusion.
Et puis, au moment où on allait s’abandonner à cette colère, accueillir son grondement, soudain le paysage s’éclaircit. Au bout de la promenade, on déboule sur une clairière dégagée où la musique s’adoucit et l’air se renouvelle. C’est dans ces contrastes, entre feu et air, que The Walk saisit les nerfs et les cœurs à vif. Wrong Enemy contient à la fois le poison et son antidote, le poing dans la gueule et le baume apaisant. On est souvent dur le fil du rasoir, l’équilibre est précaire mais, au final, les prises de risques se révèlent payantes. On en ressort plus fort, plus vivant, débarrassé peut-être de ses faux ennemis.