Il y a des filles comme ça qui se mettent dans tous leurs états. On l’a vue danseuse de cabaret chez Jacques Demy. On l’a vue courant sous une chevelure rouge chez Tom Tykwer. On l’a vue femme-enfant, petite lolita, chez Nabokov. On l’a vue rastaquouère chez Gainsbourg qui la disait aussi pauvre Lola, qu’on ne peut pas prendre jusqu’aux calendes grecques. Il y a des filles comme ça qui nous mettent dans tous nos états. Quand on m’a ouvert la porte d’entrée de l’univers de Lola’s Bad, je me suis dit que ce n’était pas si mal mais je suis resté sur le seuil. Et puis, la course folle des jours qui passent a tout balayé sur son passage. Comme Lola la coureuse, j’étais tellement absorbé par les battements de mes pieds sur l’asphalte que je suis passé à côté d’elle sans prendre le temps d’une pause, sans un mot, sans un soupir. Il est des plaisirs qui se méritent. Des bonheurs qui s’apprivoisent. Lola’s Bad n’est pas facile d’accès. Mi-grec, mi-britannique, le duo est une île volcanique à la géographie contrariée, accessible au promeneur solitaire à la seule condition qu’il consente d’abord à une noyade purificatrice. Drown With Me, psalmodie une voix amphibie, comme une invitation à un rite tribal. C’est le prix à payer pour accéder enfin à tous les trésors de Lola’s Bad.
Composé de la performeuse, chorégraphe, vidéaste et chanteuse grecque Evangelia C et du multi-instrumentiste et producteur anglais Bat Halliday, Lola’s Bad est un attelage improbable, mélange déroutant de Fever Ray et de Cocteau Twins. Mêlant chant aérien et sonorités issues du rock progressif, de l’électro et de la techno tribale, le duo crée des atmosphères uniques, lancinantes, sombres et obsédantes. Sorte de trip halluciné dans les méandres d’un culte obscur où Evangelia jouerait le rôle d’une prêtresse païenne, la musique de Lola’s Bad est une expérience sensorielle qui, de prime abord, peut s’avérer déstabilisante. Expérience sensorielle, et non simplement auditive, car l’univers visuel qui accompagne leurs morceaux est tout aussi équivoque et labyrinthique. Complexe, fantomatique, déconcertant mais à y regarder de plus près, admirable dans sa conception et sa réalisation, riche de sens et pointilleux à l’extrême. La vidéo de Drown With Me est une critique acérée de la corruption de la culture pop contemporaine par le démon mercantiliste. Reprenant l’esthétique et les clichés des clips du 21ème siècle pour mieux les détourner, la vidéo apparaît, faute de néologismes suffisamment signifiants, comme un clip de Madonna passé au prisme de David Lynch. Rarement univers sonore et visuel n’auront atteint un tel degré d’adéquation. C’est du grand art et d’autant plus admirable que c’est 100% fait maison par Evangelia, Bat et une petite équipe de créatifs basés en Grèce et à Londres. Le duo a plus d’une corde à son arc et démontre que, plus qu’une simple attraction pour adeptes de la bizarrerie, Lola’s Bad est avant tout un projet artistique à part entière, polymorphe et sans compromission. Un avant-goût de ce vers quoi la musique du 21ème siècle doit tendre. Et, avec Drown With Me, d’ores et déjà l’un des titres les plus marquants de l’année 2012. A bon entendeur…
Photo d’Andrew Ogilvy