Ami lecteur, je ne sais pas ce qui m’arrive. Moi qui suis d’ordinaire totalement réfractaire au R’n’B – passez moi un morceau d’Usher et vous me verrez aussitôt m’enfuir en courant sans demander mon reste – voilà que je tombe, au hasard de mes pérégrinations sur la blogosphère musicale, sur des vidéos d’un artiste dont je n’ai jamais entendu parler, The Weeknd. Et, là, l’honnêteté intellectuelle me pousse à t’avouer deux choses, fidèle lecteur. Premièrement, c’est avec une mauvaise foi caractéristique que j’ai osé placer The Weeknd dans la rubrique des groupes que les autres écouteront dans un an. En effet, The Weeknd fait l’objet d’une hype phénoménale depuis la sortie de sa première mixtape en mars dernier. Tout le monde, des Inrocks  à Rolling Stone, en passant par le New York Times et le Guardian, en a déjà parlé, sauf moi. Je m’incline. platement. Mais ne dit-on pas que faute avouée est à moitié pardonnée? Et deuxièmement, cher lecteur, j’en tremble des genoux tellement je n’aurais jamais cru pouvoir prononcer (ni écrire d’ailleurs) la phrase qui suis autrement que sous le coup de la torture la plus abjecte…Allez, je me lance, c’est bon, cette fois, j’y vais, je le dis…Bon, tu accouches? Ca y est, j’aime le R’n’B…Quoi? On n’a rien entendu. Plus fort!…OK, OK, c’est bon : j’aime le R’n’B!!!

Bon, je m’explique. De grâce, ne me passez toujours pas Usher ou je vomis sur vos souliers tout neufs. Non, avec The Weeknd, on entre dans une dimension musicale qui transcende les genres. Certes, il s’agit sans conteste de R’n’B. The Weeknd maîtrise tous les codes du genre. Mais au mélange de rap et de soul music qui caractérise le R’n’B contemporain, il ajoute des ingrédients importés d’autres univers musicaux : électro, rock, sons jazzy, il ne recule devant aucune audace. Le son de The Weeknd est toujours d’une précision clinique. Les instrumentations souvent très épurées semblent ne jamais comporter la moindre note superflue. On a parfois l’impression d’écouter un mix de R. Kelly et de Portishead. Et sur ces instrumentations complexes et quasi-lunaires, The Weeknd pose une voix de falsetto dont le potentiel érogène semble sans limites. A la fois sombre et sensuelle, la musique de The Weeknd relève du génie le plus absolu. Il n’en fallait pas moins pour me réconcilier avec un genre musical dont je n’attendais rien depuis très longtemps.

On a beau savoir que le buzz ne dure souvent qu’un temps et qu’à une gloire éphémère peut succéder un oubli total, il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour The Weeknd. Parrainé par le rappeur canadien Drake, The Weeknd, alias Abel Tesfaye semble promis à un avenir radieux. Ce qui fait la différence, c’est le côté obscur et inquiétant qu’il parvient à conférer à un style qui, le plus souvent, n’était que mièvre et inoffensif. Qu’on écoute l’une ou l’autre des deux mixtapes parues sur son site Internet – vous pouvez les télécharger gratuitement, donc vous n’avez vraiment aucune excuse pour ne pas les écouter – on se trouve plongé dans un univers rapidement identifiable, totalement glacial, où sexe et drogues se côtoient dangereusement. The Weeknd, c’est un peu le ver dans la pomme du R’n’B gentillet. Il a ouvert une brèche sur la voie de la dépravation et c’est justement cette toxicité qui le rend intéressant. Après House of the Balloons et Thursday, le canadien s’apprête à sortir d’ici la fin de l’année une troisième mixtape intitulée Echoes of Silence. Il a également été choisi par Lady Gaga pour participer à l’album de remixes de Born this Way . Il ne reste plus qu’à souhaiter que la renommée grandissante de The Weeknd ne nuise en rien à son intégrité. Auquel cas il s’annonce comme l’un des artistes majeurs de la nouvelle génération.