Quand on est comme moi un mélomane obsessionnel, la quantité astronomique de musique absorbée est telle que le cerveau doit nécessairement procéder à un rapide travail d’analyse et de classement. Ce zapping perpétuel est à double tranchant. S’il permet d’avoir une large ouverture sur ce que la musique sous ces diverses formes peut proposer d’intéressant ou de stimulant, il est aussi parfois source d’erreurs de jugement regrettables. Combien de disques, qui auraient mérité plusieurs écoutes, ai-je jeté aux oubliettes alors que, dans le même temps, j’encensais des groupes qui, tout bien considéré, ne méritaient peut-être pas toute l’attention que leur avait valu un jugement trop hâtif? C’est le lot, me direz-vous, de tous les chroniqueurs musicaux. Certains ont des états d’âme. D’autres, grand bien leur fasse, vivent en paix avec leur conscience. L’honnêteté me pousse à avouer que, parmi les groupes que les autres écouteront dans un an présentés sur ce blog, il y en a deux ou trois que je n’écoutais déjà plus une semaine après avoir écrit la chronique. Je m’efforce donc à présent d’être un peu plus discipliné et de prendre davantage le temps de la réflexion. Le groupe que je vais vous présenter aujourd’hui, je l’ai découvert il y a déjà quelques semaines. J’avais été, je me souviens, totalement emballé par leur musique. J’ai laissé infuser calmement, ne l’écoutant qu’avec parcimonie et j’y suis revenu avec un enthousiasme encore décuplé. Et si, à l’approche du printemps, j’aime une musique plus encore qu’en plein cœur de l’hiver, c’est bien la preuve que les chansons de Pickwick résistent à l’alternance des saisons.
Après une décennie où la musique indépendante a été largement dominée par des groupes d’hommes des cavernes barbus et dépressifs, jouant un folk pastoral plus proche du somnifère que de l’amphétamine, il était grand temps qu’on se remette à bouger la tête et à taper des pieds et des mains sur des rythmes chaleureux et chatoyants. Aussi, j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, les années 2010 seront la décennie de la soul music. En France, Ben L’Oncle Soul; en Grande-Bretagne, Sarah Williams White; aux États-Unis, Charles Bradley, Raphaël Saadiq ou encore Mayer Hawthorne, témoignent de ce renouveau d’un genre dont l’âge d’or semblait depuis longtemps révolu. Mais bien plus qu’un simple hommage respectueux aux productions de la Motown ou de la Stax, ce revival s’accompagne d’une volonté d’inscrire la soul music dans une ère nouvelle de son histoire. Il est intéressant de voir que le regain d’intérêt vis-à-vis de la soul est en train de gagner une scène musicale indépendante qui, par ailleurs, peine à se renouveler. Le groupe Pickwick, originaire de Seattle, est, à mon sens, caractéristique de cette nouvelle sensibilité. Après plusieurs années passées à chercher sa voie dans une scène locale dominée par les folkeux de tous poils, les membres de Pickwick se sont mis à écouter de plus en plus les groupes de la Stax et de la Motown. Le résultat, c’est une musique chaleureuse qui combine fondamentaux de la soul et rythmiques plus proches de l’indie rock. Un cocktail détonnant qui, en quelques secondes, vous colle un smiley sur la face et vous décolle les pieds du soul. C’est sexy, c’est catchy, c’est groovy. Bref, les chansons de Pickwick sont tout simplement irrésistibles. Et ceux qui les ont vus en concert affirment que les titres disponibles sur leur Bandcamp ne sont rien en comparaison de l’énergie live dégagée par le groupe. Vu comme je fonds complétement à l’écoute de leurs enregistrements, je me demande dans quel état je me trouverais à la fin d’un de leurs concerts.
Si Pickwick a mis du temps à trouver sa voie, il ne faut pas longtemps, en revanche, à Galen Disston pour s’imposer aux oreilles les plus délicates comme l’une des plus grandes voix de la soul actuelles. Justesse, charisme, énergie, tout ce qu’il faut de groove et d’émotion, on a du mal à imaginer que ce garçon ait pu chanter autre chose que la soul tant il excelle dans ce style particulier. A capella, il vous donne déjà la chair de poule. Alors, imaginez lorsqu’il est accompagné par une belle brochette de musiciens talentueux, qui, visiblement, prennent un plaisir évident à jouer ensemble et à explorer la soul music avec un regard neuf. Pickwick a déjà sorti une série de 45 Tours qui frôlaient la perfection. Voix hors du commun, riffs entêtants, groove infectieux, le groupe devrait bientôt tutoyer les sommets. Un album est prévu dans les prochains mois et devrait en toute logique propulser Pickwick sur le devant de la scène…
Live From The Basement – Pickwick from Sound on the Sound on Vimeo.