Ami lecteur, rassure-toi, je ne suis pas touché par la maladie d’Alzheimer. Je me souviens encore avec précision de ce que j’ai écrit ici-même trois jours plus tôt. J’en assume chaque mot, chaque virgule, chaque respiration. Mais l’alphabet a ceci de capricieux que ses vingt-six lettres offrent une infinité de combinaisons et il suffit parfois de bien peu pour changer le cours des choses. Deux lettres inversées, remplacées ou échangées et c’est un sens nouveau, une autre réalité qui apparaît.
Un jour, une coquille d’œuf mal dactylographiée perdit son “q” à l’imprimerie, donnant naissance à la coquille journalistique. Petite cause, grandes conséquences ! Voilà que tout est chamboulé, sens dessus dessous. Si, comme moi, tu es friand de poésie bancale, tu ne manqueras pas de remarquer qu’untel a pustulé à un nouvel emploi ou que son voisin souffre d’une douloureuse hernie fiscale.
Mais, que l’on confonde Faune et Fauve et, tout de suite, je trouve l’idée bien moins amusante. Le second est contenu dans la première. L’un est étriqué, encagé, et se donne en spectacle dans le zoo médiatique quand l’autre dessine un ensemble complexe et cohérent, une multitude d’interactions et de paysages. L’un est braillard et tape-à-l’oeil, l’autre est calme et sereine, sûre de sa force. Une seule lettre les sépare mais une lettre, parfois, c’est tout un monde.
De Faune, on ne sait pas grand-chose. Ils ne s’étalent pas dans les magazines, préférant sans doute poursuivre, à l’abri de l’agitation, de plus larges desseins. Qualifiant leur musique de “pop dans les nuages”, Edouard Tyl, Antoine Sapin et Jean-Christophe Baudouin déploient un univers tout en délicatesse et en poésie.
Les deux premiers sont compositeurs de musiques de films, le troisième est un bidouilleur de sons qui officie au sein des groupes nantais Gong Gong et Pillow Pilots. Le tout est l’un des projets les plus intéressants que j’ai croisés ces dernières semaines.
Mêlant sonorités électroniques et organiques, Faune soustrait l’auditeur aux pesanteurs terrestres. C’est une exploration, un envol. Des influences riches et variées s’entrelacent pour former un alliage alchimique résistant aux perturbations de tous ordres. On effleure des galaxies : musique de films, pop, électro, chanson française, puisant dans chacune le plein de carburant pour atteindre les étoiles.
Du très cinématographique Whistle West End à l’envoûtant Tout est une île, Faune musicalise nos envies d’ailleurs avec une poésie qui fait souvent défaut à la nouvelle scène pop française. Les rivages qu’ils abordent sont d’une beauté saisissante et méritent qu’on s’y attarde longuement. Hors du temps, dans un espace aux directions illimitées, Faune est, à plus d’un titre, un groupe à suivre de très près.