Lorsque, en 1967, Jacques Dutronc chantait J’ai tout lu, tout vu, tout bu, il était loin de se douter qu’un petit malin, quelques décennies plus tard, s’emparerait de ces trois verbes du 3ème groupe, au passé composé et à la première personne du singulier, pour agiter la blogosphère culturelle des années 2010. A moins évidemment que Jacques Dutronc ne soit un voyageur temporel, auquel cas la chanson ne serait finalement qu’un hommage anticipé au modeste espace d’expression que tu parcours, ami lecteur, avec une incrédulité de moins en moins dissimulée. Je t’imagine déjà, devant ton écran, écarquillant les yeux, levant un sourcil interrogateur et te creusant les méninges pour savoir s’il est bien prudent de voyager dans le temps avec des cactus dans le slip. Pour ma part, je ne m’y risquerais pas mais, quand on a un joujou extra qui fait crac boom hue, on peut se permettre bien des choses que les autres se refusent. Pourtant, si l’on compare photos d’époque et clichés plus récents, il semble que le playboy des années 60 accuse le poids des ans. Autre fait troublant : s’il avait vu le futur, pourquoi arrêter arbitrairement son recensement de la population chinoise à sept cent millions, alors qu’ils sont aujourd’hui près du double. 1,344 milliards de Chinois et moi, et moi, et moi… et deux Chinoi qui s’apprêtent à régner sur le monde avec leur electro-pop conquérante.
Rien de vraiment asiatique chez ces Chinoi-là. Leur musique est même tout ce qu’il y a de plus débridée. Le nom du groupe en laissera peut-être perplexe plus d’un mais, à l’heure où l’electro-pop fait florès, ce qui est sûr, c’est que le duo parisien manifeste une évidente singularité, que ce soit nominalement ou musicalement. Mêlant mélodies pop et rythmiques fiévreuses, Alexandre Brihat et Mathieu Rosenzweig, deux anciens membres du groupe rock Eldia, créent un assemblage sonore percutant et prodigieux de créativité. Les trois titres originaux de leur premier EP Peaches sont autant de petites bombes que l’on se prend en pleine gueule, avec une seule envie : que ça recommence, et vite. Chinoi y démontre un goût certain pour les constructions complexes et équivoques. Velléités rock et synthés foutraques s’accouplent pour accoucher d’une créature sublime et ravageuse à laquelle une voix caverneuse et charismatique vient donner vie. Chinoi semble se complaire dans les eaux troubles et ténébreuses. L’atmosphère est volontiers ambigüe, énigmatique. Un sentiment encore renforcé par le clip barré de Peaches et son montage d’extraits de films d’horreur des années 80. Dérangeant, obsédant, excitant, Chinoi va bientôt annexer de nouveaux territoires et prendre possession de votre esprit. Inutile de lutter, vous allez devenir accro, c’est inéluctable.