Ami lycéen, si j’en crois mes statistiques Facebook, tu représentes très exactement 1,2% de mon lectorat. Autant dire peanuts ! La preuve, diront mes détracteurs, que je ne sais pas parler aux jeunes. La preuve, diront mes employeurs, que je ferais mieux de changer de métier. Sois tranquille. Tu peux continuer à souffler sur ta mèche rebelle et à cacher ta vilaine tête sous les écouteurs de ton iPhone. Cette chronique ne s’adresse pas à toi. Elle s’adresse à 1,2 et à ses parents. 1,2, tu es un individu de sexe intégralement féminin, en proie, sans doute, aux tourments des jeunes filles de ton âge – je n’entre pas dans le détail, il n’est pas exclu que se dissimule, parmi mes lecteurs, quelque vieux pervers libidineux. Tu es vraisemblablement plus intelligente, plus curieuse et plus cultivée que tes camarades que tu considères, à juste raison, comme de fieffés imbéciles. Des chargés de développement ennuyeux se succèdent au téléphone pour te convaincre de rejoindre leur école. Ils rivalisent d’arguments extravagants pour s’attacher tes faveurs. Ils flattent, mentent, caressent dans le sens du poil. Ne les écoute pas. J’ai d’autres projets pour toi, 1,2. Tu as la vie devant toi. Ne la gâche pas en creuses études et en sots métiers. A ton âge, il faut de l’ambition. L’impossible doit être ton horizon ultime. Repousse les limites et, à force de talent et de travail, tu deviendras l’artiste la plus prometteuse du pays. Si Lorde y est parvenue, pourquoi pas toi ?
Lorde, c’est la chanteuse que tout le monde écoutera dans un an, le temps que sa musique franchisse la distance qui nous sépare de la nouvelle Nouvelle-Zélande. Moi qui étais déjà amoureux de cette contrée lointaine – platoniquement s’entend – The Love Club, son premier EP, a achevé de me faire chavirer. Voilà une petite chose qui n’a qu’un seul défaut, c’est d’être trop courte. Mais cinq morceaux d’une telle perfection, c’est déjà insensé surtout quand on apprend, en tâtonnant un peu, qu’ils sont l’oeuvre d’une adolescente de 16 ans. Lorde, comme “seigneur” en anglais mais avec un “e” au bout, s’annonce comme la nouvelle princesse de la pop. Elle frappe un grand coup avec un EP magistral où elle réussit tout ce qu’elle entreprend. De Kate Bush à The Weeknd en passant par Ellie Goulding, la jeune femme semble avoir déjà acquis et assimilé une pléiade d’influences qu’elle redispose à sa guise, avec une virtuosité et une intelligence peu communes. Une étonnante maturité qui se retrouve aussi dans son chant. Lorde a une telle assurance et une telle maîtrise dans la voix qu’on croirait entendre une chanteuse deux fois plus âgée. Sa précocité artistique, couplée au mystère savamment entretenu sur sa véritable identité, a d’ailleurs suscité le débat au pays des kiwis, certains l’accusant, à tort, de n’être qu’une énième créature fabriquée de toutes pièces par des Dr Frankenstein du marketing musical. Discussion oiseuse tant tout ce que la jeune femme touche se transforme en or. Elle passe avec une aisance incroyable de la pop de chambre à l’électro-pop tortueux, démontrant qu’elle aspire à devenir bien plus qu’une étoile filante vite oubliée. Lorde est un phénomène et The Love Club, la naissance d’une galaxie.