“Comment voulez-vous que les gens s’intéressent à la musique avec plus de 400 sortes de fromages à recenser?”, épineuse question brillamment soulevée par le Pr. Zorino, sur laquelle pourraient bien plancher les futurs candidats au baccalauréat. Comment chanter, en effet, en tenant en son bec un fromage et, allons plus loin, en avalant force rondelles de saucissons du terroir et en se rafraîchissant le gosier avec un (ou plusieurs) verre de blanc sec? Les Spadassins (cf Le groupe que les autres écouteront dans un an – Ep.60), en dignes représentants du rock hexagonal, ont la solution pour nous faire danser et transpirer, sans se prendre au sérieux. Interview baroque de deux des fines lames de cet escadron d’élite…
Comment vous êtes-vous rencontrés et comment le groupe s’est-il formé?
Docteur Love : Nous nous sommes rencontrés sur la place Sainte-Anne, autour d’un petit blanc sec, d’un stand de livres et de disques d’occasion. Le groupe existe depuis 2010 sous sa forme actuelle. Nous avons réussi à convaincre Fred Ernest de rejoindre notre escadron d’élite après avoir enregistré un premier EP avec lui.
Pr. Zorino : Un petit blanc sec… au mieux ! Personnellement, la première fois que j’ai vu Captain Beat, il jouait au fond d’un car-podium à Nouvoitou. Que de chemin parcouru depuis.
Vous avez les uns et les autres des expériences musicales diverses au sein de formations locales. Est-ce que, aujourd’hui, Les Spadassins constituent un projet à temps plein ou continuez-vous à mener de front plusieurs projets?
Docteur Love : Nous menons tous de front d’autres projets, d’importance et d’implication diverses. Je résume la situation car il y a souvent des confusions autour de la mafia rennaise. Monsieur Moustache joue dans BUMBLE BEES (indie lo-fi pop), Captain Beat dans A CAKE A ROOM (folk-americana), Fred Ernest dans BIKINI MACHINE (electro-yéyé-soul) et avec DIDIER WAMPAS en solo, Professeur Zorino et Bloody-Boulga dans SUDDEN DEATH OF STARS (space rock), Bloody Boulga dans 50 MILES FROM VANCOUVER (indie pop-shoegaze), Professeur Zorino dans PANOPLIE (art pop), Zorino et Moustache dans un nouveau groupe R’n’B’ 50’s dont j’ignore encore le nom et je viens de monter EVA BROWN SUGAR (punk-garage-powerpop) très récemment. En bref, c’est La Pléiade du 21ème siècle et une vaste partouze musicale joyeuse et décomplexée.
Pr. Zorino : Et tout ça au nez et à la barbe de la SACEM, bien sûr. Nous les saluons chaleureusement au passage.
Vous adoptez une esthétique proche des Mods à la fois dans le look et dans la musique. D’où vient votre attirance pour ce mouvement?
Docteur Love : Du coffret Nuggets 2, tout simplement. Ça fait trop longtemps, je ne me souviens plus. Moi, j’écoute du freakbeat, du garage, du r’n’b’ et de la soul comme on soutient un candidat trotskyste, avec ferveur, respect et abnégation. Pour les sapes, pas grand chose à dire, il y a peu de chances qu’avec mes références, je décide de m’habiller comme un militant du Modem ou un charcutier-trader…
Pr. Zorino : N’est-ce pas la même chose ?… Oui, à propos des fringues : cette question revient souvent, je me permettrai pour une fois d’y faire honneur avec largesse. La comparaison trotskyste de mon camarade suffragette-guitariste est tout à fait intéressante : pour ma part je ne peux pas professer la plus grande connivence avec les chapelles de Mods telles qu’elles existent actuellement, comme en Italie par exemple. Mais il y a quelque chose dans ce mouvement des sixties et dans cette attitude de dandys-branleurs-prolos qui, réitéré aujourd’hui, comme on nous taxe souvent de le faire, devient éminemment militant. Pour moi, c’est un peu comme dire aux autres d’aller se rhabiller, si j’ose dire. Et je dis ça parce que je ne vois dans cette façon de faire aucune sorte d’élitisme, bien au contraire. Et c’est là-dessus qu’il faut éveiller les consciences, camarades. Mais je digresse.
Vous écrivez tantôt en français, tantôt en anglais. Pourquoi avoir fait le choix de travailler dans les deux langues?
Docteur Love : Personnellement, je serai pour chanter presque exclusivement en français. Je suis professeur de lettres, j’aime cette langue, je pense qu’il faut renouer avec cet « esprit français » qui s’incarne chez les « anti-yéyé », sur les compils WIZZ, O TOI BEATNICK ou ILS SONT FOUS CES GAULOIS. Je suis aussi très friand de ce que fait PHILIPPE KATERINE sur le plan de l’écriture. Cela dit, sur certaines chansons, le maniement du français est vraiment délicat, notamment sur les chansons lentes et mélancoliques. J’attends que nous écrivions le morceau soul en français…
Pr. Zorino : Oui, c’est un peu l’Arlésienne… Mais ne désespérons pas. Je suppose qu’écrire en anglais, pour beaucoup de groupes comme le nôtre, est finalement un genre de paresse de versification. Aussi, le français atteint surtout au superbe quand il est parlé avec l’accent québécois, qu’hélas nous ne possédons pas, sauf à l’occasion de certaines plaisanteries douteuses échangées à l’heure de l’apéritif.
Parlons de vos influences françaises. On sent dans vos titres en français un sens de la dérision proche de celui de Jacques Dutronc. Est-ce que vous vous sentez proches de lui?
Docteur Love : Bien sûr. Mais j’en parlais à l’instant, Dutronc ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Il y a eu en France entre 64 et 70 des trucs passionnants qui sont passés complètement aux oubliettes. Je pense à RONNIE BIRD, NOEL DESCHAMPS, STELLA, CLOTILDE, 5 GENTLEMEN, EVARISTE, aux LIONCEAUX. Tous ces artistes pratiquent un rock/beat assez potache, ironique, libre et frais que j’apprécie particulièrement. Il en est de même dans de nombreux pays francophones ou francophiles comme le Canada, la Turquie, le Maghreb (qui n’est d’ailleurs pas un pays), le Liban…
Pr. Zorino : Sans oublier les Gam’s : elles ne fumaient pas le cigare mais parlaient déjà de sécurité routière. Des visionnaires.
Trouvez-vous, de manière générale, que le rock français se prend trop au sérieux?
Docteur Love : C’est difficile à dire. D’un côté, il y a les groupes de « rock français » ennuyants et prétentieux avec des influences pénibles et de l’autre les groupes qui ne se prennent tellement pas au sérieux qu’ils en oublient d’écrire des chansons ou des les exécuter décemment. Il y a aussi bien sûr des groupes cools en France, mais je ne trouve pas qu’ils aient quelque chose de spécifiquement français, ce que je regrette.
Pr. Zorino : Il y a quelque chose dans l’ADN musical français qui s’acoquine mal avec le rock, sauf à en faire des caisses, justement. Nous n’avons ni la spontanéité ricaine ni le flegme britannique. Mais aussi comment voulez-vous que les gens s’intéressent à la musique avec plus de 400 sortes de fromages à recenser ? Peut-être que le souci avec certains groupes, c’est qu’ils essaient plus d’être des groupes de rock que d’en faire effectivement. Vu du dehors, c’est assez flatteur pour la scène française, mais après…
Le combat pour la cuisine traditionnelle contre la mode des verrines, c’est une cause qui vous tient particulièrement à cœur?
Pr. Zorino : Ca nous tient plus à l’estomac qu’ailleurs, il faut l’avouer. Ce n’est pas seulement la mode des verrines d’ailleurs, c’est l’objet verrine en lui-même dont il faut dénoncer l’inanité. Vous vous rendez compte du fractionnement de vaisselle que ça représente pour le peu de nourriture à ingérer ? C’est tout simplement inadmissible.
J’imagine, à l’écoute de vos deux EP, que vous devez être au top sur scène. Quand traverserez-vous la France d’Ouest en Est pour venir jouer chez moi à Strasbourg?
Pr. Zorino : C’est un peu fort, nous en revenons, ou presque, de Strasbourg (NDLR : effectivement, en octobre dernier, ils étaient au Mudd Club). On y a éclusé plus de schupfnudeln que ne pourrait en contenir un service de 80 pièces de verrines. Donc, bientôt sans doute. Plus sérieusement, c’est pas l’envie qui nous en manque, mais nous ne nous retrouverons vraisemblablement pas là-bas avant la Toussaint prochaine. A moins que vous ayez des propositions intéressantes à nous faire… Je parle de schupfnudeln naturellement.
A quand un premier album des Spadassins? Et, plus globalement, quelles sont les prochaines étapes pour vous?
Docteur Love : Je ne suis pas tellement pour faire un album, je ne trouve pas que ce soit un projet artistiquement cohérent pour les Spadassins. Je préfère sortir régulièrement des formats courts, des singles ou des Ep’s qui mettent plus en valeur les chansons. Il y a tellement d’albums médiocres aujourd’hui, je crois que c’est dur de tenir sur la longueur…
Pr. Zorino : Ouais, en plus un 45 tours ça a des basses qui tabassent, et ça c’est bon pour nous. A terme, pour vous aussi, je crois. Enfin, si vous aimez danser.