Volets clos. Paupières closes. Qu’on ne me dérange sous aucun prétexte. Je veux être seul, absolument seul, à l’abri des regards inquisiteurs et des oreilles indiscrètes. Il est des plaisirs que l’on ne partage pas. Ou, du moins, pas tout de suite.
Je ne suis pas quelqu’un qui croit. Je laisse ça à ceux qui manquent d’imagination ou à ceux qui ne ressentent pas assez pour bâtir en eux-mêmes leurs propres cathédrales. Les certitudes ne se construisent pas sur du sable. Je dois être absolument sûr que je ne fais pas fausse route, que je ne me laisse pas entraîner par le chant des sirènes ou par une prophétie auto-réalisatrice. Je dois m’assurer que ces images qui défilent devant mes yeux fermés ne sont pas le fruit du hasard, mais la transposition mentale de stimuli sonores.
Car, croyez-le ou pas, je vois les sons. J’ai vu des villes entières émerger d’un riff de guitare, des montagnes et des océans s’extraire d’un orchestre symphonique, des lacs gelés naître de boucles electro. Mais je n’avais encore jamais rien vu de tel.
Avec le nouvel album de Son Lux, c’est un nouveau monde qui se dessine sous mes yeux. Une réalité alternative. En bousculant les repères habituels, en donnant des coups de pied aux conventions, Ryan Lott traverse les passerelles entre une manière “traditionnelle” de faire de la musique et la façon dont la musique se créera dans les décennies à venir. D’autres s’y sont essayé. Arcade Fire, par exemple, s’y est cassé les dents avec Reflektor. Les passerelles entre l’ancien et le nouveau monde sont fragiles. Pour les franchir, il faut avoir le pas léger, se faire presque funambule. A la première approximation, c’est la chute assurée.
Son Lux, lui, ne chute pas. Alchimiste des sons, il réussit l’alliage parfait de la sensibilité et de la technique. Chant choral et couches électroniques s’entremêlent pour ne faire plus qu’un. Son Lux marie la lumière et l’obscurité. Il réconcilie le feu et la glace. Lanterns dévoile des paysages inexplorés, décroche la lune, tutoie les étoiles.
On savait Ryan Lott capable de prodiges, on le savait bien entouré, mais ce nouvel album dépasse toutes les attentes. Lanterns projette encore un peu plus son auteur dans la lumière et, à l’instar de sa pochette, éclipse ses concurrents. C’est assurément le disque de l’année. Peut-être même de la décennie.