Où il est question de ma fille, d’un petit merdeux, de refaire le monde et de comment j’ai rencontré ta mère…
Ma fille fête son premier anniversaire. Elle pose sur moi son regard clair et, pendant quelques secondes, le monde s’arrête de tourner.
J’oublie que, dans dix ans, elle me trouvera has been et me demandera de me garer à deux rues du collège pour ne pas lui foutre le honte devant ses copines. J’oublie que, dans douze ans, elle roulera une pelle à un freluquet mal coiffé qui lui brisera le cœur, et que je n’aurai qu’une seule envie : refaire le portrait à ce petit merdeux. J’oublie que, dans seize ans, elle rentrera bourrée, défoncée, ou ne rentrera pas du tout, que je ne fermerai pas l’œil de la nuit, que je l’accueillerai au petit matin, ivre de colère et d’inquiétude et que je finirai par regretter, après coup, mes paroles excessives.
J’oublierai de me souvenir que moi aussi, avant de devenir vieux con, j’ai d’abord été jeune con, que j’ai planté ma langue dans des trous paumés, défoncé des rétroviseurs et vomi dans des bassines et que, non, même si tu insistais, je ne te dirais pas dans quelles circonstances j’ai rencontré ta mère.
J’en ai passé des soirées à refaire le monde, défoncé dans un canapé, une bouteille de vin à la main. Et si, aujourd’hui, j’avais dix-neuf ans au lieu d’en avoir quinze de plus, je crois que c’est dans cet état que j’aurais aimé découvrir Goldbloc. A moins que ce ne soit la musique de Goldbloc qui me replonge dans cet état.
J’entends des voix. Je ne sais pas, je ne sais plus, si elles sont dans la pièce ou dans ma tête. Il est trop tard, je vois trouble. Je me croyais seul, avachi sur le sofa, mais il y a cette fille terriblement sexy qui me parle. Comment se fait-il que je ne la remarque que maintenant ? Dans le brouillard mental qui m’enveloppe, je peine à discerner si elle est réelle ou si elle n’est que le fruit de mon imagination.
La voix de Solei semble tenir au moins trois conversations en même temps alors qu’au loin persistent les échos feutrés de la soirée. Quelques beats, en filigrane, soigneusement espacés, comme un goutte-à-goutte obsédant. Qui et où suis-je ? Que se passera-t-il si je ferme les yeux ? Halluciné, je lutte de toutes mes forces pour garder les paupières et les oreilles grand ouvertes, pour ne pas en perdre une miette. Goldbloc, c’est de l’or en barre.