Le succès, cette petite chose fragile et capricieuse que certains chérissent par-dessus tout et que d’autres envient, prêts à toutes les trahisons. Le succès qui déforme ceux qui le recherchent à tout prix, en détruisant leurs idéaux et en les rendant anxieux et solitaires. Le succès n’est rien si, pour l’atteindre, on doit renoncer à ce que l’on est. Sont-ils heureux, ceux qui ont réussi dans la vie, mais ne connaissent pas leurs enfants, ne prennent jamais le temps de lire un livre ou d’admirer, avec ceux qui les aiment – jusqu’au divorce -, un coucher de soleil ? Le succès, c’est le mal de notre société. C’est une quête qu’on se laisse imposer insidieusement de l’extérieur, qui se mesure en avoir et en liquidités. En tristesse et en dépressions aussi. Le succès engendre l’oubli et crée de l’angoisse et de la frustration. Pourquoi passer sa vie à lui courir après alors qu’on pourrait être heureux, en étant simplement soi-même ? Ce succès que l’on rencontre puis qui s’enfuit, Benoît Carré l’a connu dans les années 90 quand il était encore la moitié de Lilicub. Propulsé au sommet, en 1996, par un pétillant Voyage en Italie, le duo atteint les sommets avant de poursuivre une carrière honorable mais plus confidentielle et, finalement, de sortir des écrans de contrôle. Aujourd’hui, après avoir aussi écrit pour Françoise Hardy, Imany ou Johnny Halliday, Benoît revient en solo avec un très bel album, entre pop et chanson française, intitulé Célibatorium.
Le Célibatorium, c’est le nom de l’endroit où le disque a été enregistré. Une résidence dans la forêt, à Pont-sur-Sambre, près de Lille, qui accueillait, loin de leurs épouses, les ingénieurs d’une usine nucléaire aujourd’hui disparue. Un endroit parfait pour s’isoler et peaufiner un univers qui respire la sincérité. Guidé par l’envie de faire quelque chose qui lui soit plus personnel, Benoît Carré n’hésite pas à revenir avec dérision et détachement sur son rapport au succès. Le titre Pete Best, qui relate avec humour et légèreté le destin du batteur originel des Beatles, viré avant que les gars de Liverpool ne rencontrent le succès, est l’un des morceaux de bravoure du disque. Plus mélancolique, Le Figurant qui vivote dans l’ombre de ses idoles, essayant de s’attirer les miettes de leur lumière, développe la même thématique. Mais c’est surtout avec le magnifique Autographe, mon titre préféré, que cette réflexion sur la célébrité et l’anonymat prend toute sa saveur. Avec une qualité d’écriture rare dans la chanson française actuelle, Benoît Carré se lance dans un name-dropping aussi aventureux que réussi et, oserais-je dire, Carré m’en bouche un coin. Du texte à la mélodie, en passant par le rythme alerte, tout tourne rond dans ce morceau. En plus, comme il cite, dans le refrain, Navratilova et Steffi Graff, il m’a rappelé que Roland-Garros avait enfin commencé. Entre Alain Souchon et Jacques Dutronc – le titre J’ai peur des filles sonne comme le pendant introverti de J’aime les filles – Benoît Carré se (re)fait sa place au soleil, oscillant entre la bonne humeur de certains morceaux et la nostalgie douce qui berce les autres et s’exprime notamment sur le très joli duo En Commun, qu’il partage avec sa sœur, la comédienne Isabelle Carré. Entre évidence pop et arrangements élégants, Célibatorium joue toujours cartes sur table et, à son écoute, on a le sentiment d’avoir passé un bon moment avec une personne attachante, qu’on aura envie de retrouver souvent. Un disque plein de charme à découvrir d’urgence.