C’est sur la place des Beaux-Arts de Montpellier que je retrouve Colin, le chanteur de Volin, tout détendu en cette journée bien douce. Étant le régional de l’étape, Cédric Quéniart m’a mandaté pour réaliser cette interview, une première pour moi ! La discussion démarre évidemment sur leur album « Volcan », sorti le 31 mars sur le label Antipodes.
Parle-nous de la genèse de l’album. Je trouve que les chansons sur CD sont très proches de leur version scène.
Tout s’est composé avant d’être enregistré. Les formes des morceaux existaient avec les instruments présents sur scène, donc c’est sous cette forme qu’on les a enregistrés. En studio, on s’est permis ensuite quelques arrangements, quelques re-re (enregistrements supplémentaires NDLR) de guitare pour produire un peu le truc . Plus généralement pour le processus de création et d’enregistrement, on peut dire que ce fut assez long, cela court depuis pas mal de temps.
Oui, cet album est un l’aboutissement d’un long travail justement ; comment avez-vous vécu l’aspect « compilation » de tous ces titres, finalement composés sur plusieurs années ?
Mal ! Ça ennuie tous les artistes de faire des best of ! (rires). Il y a effectivement 3-4 ans de morceaux dans cet album. On l’a vécu un peu douloureusement quand même, car c’était long, c’était trop long, et vu qu’on produit tout nous-mêmes avec Flo (Florian Vincent ingé son scène et studio de Volin, et frère de Colin NDLR) et qu’on a cette possibilité de revenir éternellement sur les choses, on s’est un peu fatigués à la longue… tu te demandes toujours si ça en vaut la chandelle, si tu ferais pas mieux de mettre cette énergie dans des choses nouvelles, plutôt que de lécher et re-lécher les morceaux
Au moins maintenant c’est fini ! Je te rassure, comme auditeur on ne perçoit pas du tout ça et au contraire une grande fraîcheur à l’écoute. Et pourquoi le choix de 9 morceaux ?
On beaucoup travaillé sur peu de morceaux en fait, pour essayer de trouver la bonne forme. Des morceaux comme Volcan et Secousses en ont connu plusieurs ; ils ont commencé avec des arrangements très différents de ceux qui figurent sur l’album. Sinon, on a produit plus que ces 9 morceaux et on en a jeté beaucoup car on trouvait que ce n’était pas cohérent avec le reste.
Peut-être un 2ème album de face B ? quand on voit la qualité d’Amnesiac de Radiohead, qui sont des faces B de Kid A, ça fait rêver !
(rires)
Tu parlais de Volcan, le morceau que vous avez choisi comme « single » pour l’album du même nom. Ce mot de single paraît peu adapté car la chanson est lente, longue, le clip est contemplatif. Quand j’ai vu ça, je me suis dit que vous étiez un peu fous car n’importe quel boss de label aurait exigé une chanson catchy courte avec un clip qui explose de partout. On a l’impression que vous vous fichez de ça, vous avez fait un truc beau avec une chanson magnifique, qui vous correspond.
La question du single pour l’album ne s’est pas posée comme ça en fait. Le single c’était plutôt Canon/Le réveil, qui est sorti un an et demi avant l’album, ce qui est très lointain… on n’avait pas prévu de sortir l’album aussi tard du coup, il devait sortir dans la foulée mais ça a pris du retard.
La chanson Volcan c’est vrai n’a pas le format de single, on n’a pas vraiment envie de répondre à ça, même si on n’a pas de mal non plus à mettre en avant nos morceaux Canon et Nuit de Glace qui s’avèrent correspondre aux attentes dont tu parlais.
Comment vous répartissez-vous les rôles, au sujet des textes, des arrangements, du processus de création ?
On essaie de ne rien prévoir mais il y a des choses qui reviennent, on a des habitudes de travail. J’arrive avec la base des morceaux guitare voix, des fois à la guitare folk car, je compose beaucoup chez moi dans un environnement calme et intime. Du coup j’ai plus de facilité à faire des ballades et des chansons douces et je ne pense pas à des batteries qui tapent très fort. Il m’est difficile aussi de proposer des morceaux up-tempo. Ça m’arrive quand même pas mal de travailler sur ordi et là c’est vrai que c’est une autre démarche, les boîtes à rythme, les synthés… les portes sont ouvertes, il y a moyen d’aller chercher autre chose en terme d’énergie.
En tous cas je démarre les morceaux tout seul, je finis les textes tout seul, parce que c’est important pour moi de présenter à Max et Romain (les deux autres membres de Volin NDLR) quelque chose d’assez abouti.
Sinon ils te taclent ?
J’aurais du mal à arriver avec des choses dont je ne suis pas convaincu, il s’agit quand même de défendre ces chansons sur scène plus tard, et les premières personnes avec qui tu fais ça, ce sont les musiciens avec qui tu joues, faut pas l’oublier, donc j’ai tendance un peu à bétonner mes ossatures avant de les présenter aux gars. Ensuite, ensemble, les arrangements peuvent venir lentement ou rapidement ; généralement c’est plutôt très long, on essaie plein de choses !
Et Florian le metteur en son, intervient en bout de chaîne ?
Pas forcément, on essaie de faire en sorte qu’il soit là pendant les moments de création, il se permet d’avoir un regard extérieur en nous disant « là, si tu pouvais essayer de jouer comme ça, plus jazzy …». Un exemple sur « Il ne me reste », le morceau est très pop en 4/4 basique et Max se sentait enfermé là- dedans ; du coup Flo l’a interpellé à ce sujet et lui a suggéré de jouer et composer « par-dessus ». Comme la guitare est solide, la batterie pouvait être plus légère et jazzy selon lui.
Vous cherchez toujours le contrepoint par rapport à un arrangement évident ?
On a une fâcheuse tendance à ça oui. Le fait qu’on soit 3 et tous « très musiciens » dans l’esprit, ça nous donne envie de jouer avec les codes, on aime les équations complexes, notre plaisir est là, aussi.
C’est ce qui fait votre charme aussi : un projet en français, qui plaît aux musicos et qui soit touffu musicalement ?
J’essaie cependant de fuir le côté musicien virtuose et cérébral. Des retours qui peuvent me chagriner par exemple, c’est quand des non-musiciens me disent qu’il est difficile de danser sur notre musique, ou de ressentir les rythmes.
Mais le chant en français rend plus directes les choses, et du coup tout le monde peut y trouver son compte.
Si tant est que mes textes soient une accroche (rires). On s’amuse avec les codes c’est vrai. On a envie modestement de faire quelque chose de nouveau. Chanter en français, ça nous oblige à échapper à nos influences anglo-saxonnes comme Radiohead. Quand j’ai commencé à chanter en français, je me suis dit que ça me forcerait à être original, à chercher une autre musicalité.
J’y viens : il y a ce que vous aimez entendre, comme tout un chacun, et il y a ce que vous faites. Où se situe l’écart ? Par exemple vous aimez beaucoup Grizzly Bear, Here We Go Magic, Bertrand Belin. Est-ce que cela se traduit dans votre musique ? Quelle est la part de neuf et la part de filiation ?
La part de neuf, je crois qu’elle nous échappe. A la limite, la part de neuf, c’est si chacun s’abandonne, lors de sessions de création. Tu peux passer 3 heures à essayer de faire un morceau et puis tu fumes ta clope, tu penses à autre chose, et pendant ce temps tu fais 2 accords sans y penser et tu te dis « ah mais c’est pas mal ça » ; c’est souvent les accidents et les moments de perte qui donnent des choses que toi déjà, tu juges nouvelles…il y a un peu de ça aussi en groupe. Trouver un son sur un morceau, c’est des accidents, à force de faire, de travailler, il y a des petites magies comme ça qui opèrent . Si ça sonne on est content, si ça paraît original, on l’est encore plus. Si les gens aiment, alors là… !
Pour l’aspect filiation, je sais que lorsque je compose, je peux avoir une tendance parfois à vraiment mimer un chanteur ou le son d’un morceau, pour comprendre comment la cuisine est faite. Quand tu arrives à reproduire la cuisine d’un groupe, tu es content, car ce n’est pas toi ! C’est dur de sortir des choses de soi et d’en être satisfait.
Hum, c’est plutôt sain, non ? Comment vois-tu ton rapport à la scène, en tant que chanteur qui chante en français ? Dans ton ancien groupe Labyrinth, tu chantais en anglais…
Le français te positionne dans un autre rôle, tu sens qu’il y a une attention différente des gens ; parce que le cerveau filtre les informations, et la première c’est le langage.
Mais moi je reste dans une position de musicien ! Ce sont les gens qui te disent qu’ils aimeraient que tu sois plus chanteur. Je n’ai pas envie de ça, ce n’est pas pour ça que je fais Volin. On a l’habitude en France d’avoir le chanteur devant qui raconte son histoire, qui doit avoir 50 ans d’ailleurs parce que sinon on ne lui apporte aucun crédit, il n’a pas le vécu pour que ses histoires soient crédibles. Moi j’en ai 27, donc comment faire ?
Fumer, boire !
(Rires)
Mais là tu parles de chanteurs français de notre patrimoine, tu n’as pas l’impression qu’il y a une nouvelle tendance qui casse ça , avec de jeunes chanteurs musiciens?
Si si…mais nous, on est influencés les groupes en anglais, par leur musicalité avant tout, et la manière dont ils se positionnent et sur une scène, et c’est aussi ça qu’on a envie de faire passer, même si on chante en français. On n’est pas obligé d’avoir un chanteur hyper charismatique qui a du vécu pour qu’on puisse raconter des histoires.
Tu as tort de lier le charisme avec le vécu, c’est l’intention compte aussi beaucoup. Dans ton cas c’est très présent.
Je crois en ce que je raconte, mais je pense que c’est très déroutant pour les gens que je sois très musicien sur scène. Il n’y a qu’une seule chanson où je ne suis qu’au chant.
Le côté trio, c’est un choix ou une nécessité ?
On a commencé à 4, c’est vrai qu’au début ça nous a fait bizarre, je pensais qu’on n’arriverait pas à faire notre musique en trio. J’ai cette image de la formule basse batterie avec une guitare rythmique qui fait chanteur et une guitare d’accompagnement. Cette architecture à 4 est imparable. Avec Labyrinth je composais tout comme ça. A 3, la guitare rythmique devient aussi guitare lead ; il faut assumer quelque chose de beaucoup plus osseux, c’est un autre feeling à trouver. Au début le 4ème me manquait et petit à petit on a arrêté de chercher, on a trouvé un équilibre à 3. On le trouve aussi dans la mesure où Romain n’est pas qu’un bassiste, il a un rôle de guitariste avec sa basse ; et puis on a beaucoup d’engins sur scène (tous joués en vrai et en direct je précise NDLR) : on est un faux trio ! C’est ce que qui fait notre identité.
Vous êtes Montpelliérains, vous vous sentez faire partie d’une scène montpelliéraine ?
Non, car on n’a pas d’affinité particulière avec des groupes montpelliérains, si ce n’est avec des groupes qu’on a croisés, mais de là à être dans une même mouvance…avec toi oui depuis que tu es là bien sûr, mais tu n’es là que depuis un an et demi, tu ne fais pas encore partie des murs !
(Rires). Justement, depuis que je suis là, je vois des super concerts de groupes locaux, alors je reformule ma question : cela a t-il un sens de parler de scène montpelliéraine ? De l’extérieur, on a toujours l’impression que ça a un sens, comme quand on parle de la scène de Montréal par exemple. Il n’y a pas d’identité sonore ici ?
C’est peut-être une légende aussi ça. C’est peut-être des époques qui marquent la ville à un moment, avec un lieu emblématique… oui, c’est plus un lieu qui fait exister une scène. Je dirais dans ce sens que s’il y avait une scène montpelliéraine, ce serait la scène Noise, avec le Black Sheep qui en fait jouer tout le temps.
Comment se traduit votre relation à Paris, où sont la plupart des pros qui « font et décident » la musique » ? C’est compliqué d’être musicien hors Paris ?
Ah non, c’est très simple au contraire, j’ai l’impression au contraire qu’être musicien à Paris, c’est très compliqué, car il y a énormément de groupes, c’est compliqué de répéter, sur son matériel en tous cas.
Je confirme, 60 euros les 3 heures sur du matériel moyen…
Le cadre qu’on a depuis 10 ans ici à Montpellier est exceptionnel, pour répéter, il y a des colocations, on a investi des garages, on a des conditions de travail qui sont idéales pour un groupe.
Même, au niveau institutionnel, c’est pas plus mal de ne pas être à Paris, où tu peux vite être perdu dans la fourmilière, alors qu’ici tu peux plus ressortir et bénéficier du soutien local.
Après, c’est un peu inévitable de passer par Paris, mais ce n’est ni un début, ni une fin.
Tu te vois où dans 10 ans ?
Aucune idée, j’ai du mal à répondre à ça…continuer à faire de la musique, sous une forme ou sous une autre.
Quelle est ta guitare rêvée ?
Celle que j’ai, je la trouve pas mal, j’ai mis du temps à la trouver.
Tu avais une Silvertone avant
Qui était très très bien, mais elle me permettait pas de faire des concerts entiers de Volin, car elle était trop typée et avait un trop gros caractère.
Celle que tu as aussi est super typée !
La télécaster, oui c’est vrai, mais c’est plus polyvalent. C’est même pas une Fender, c’est une Maybach. Ce sont des luthiers allemands qui ont fait ça, et c’est l’équivalent des custom shop hors de prix de chez Fender.
Là c’est une Gibson SG qui me ferait bien envie en ce moment. Pour le son clair qu’elle a hein, car sinon, je suis pas très ACDC ! Le son est très boisé, sec, medium.
Propos recueillis par Tristen