Pourquoi une double chronique pour Iaross et Volin ? Le destin de ces deux groupes est tellement lié que la question ne se pose pas : même date de sortie d’album (le 31 mars 2017), même ville (Montpellier), un musicien en commun (Colin Vincent, guitariste claviériste de Iaross et chanteur guitariste de Volin), même ingé son (l’impeccable Florian Vincent, frère de…), et j’en passe. Par ailleurs, il se trouve que ces groupes sont liés à ma propre évolution, musicale aussi bien que personnelle.
Quoi, vous pensiez que cette chronique allait être impersonnelle, analytique et objective ? Raté, je vais parler de moi aussi. Cela ne s’appelle plus une chronique mais un témoignage alors. Va pour témoignage. Je me dis que si ces deux groupes peuvent générer autant d’enthousiasme sur ma modeste personne, il se pourrait que cela soit le cas chez d’autres. J’espère donc simplement que ce papier aux relents égocentrés donnera envie à d’autres d’écouter la musique de Iaross et de Volin.
Iaross, « Le cri des fourmis » : 13 titres et autant de richesses
Je précise en préalable qu’il m’avait fallu beaucoup de temps pour entrer dans le monde de Nicolas Iarossi (le chanteur violoncelliste leader de Iaross), et « Renverser », leur précédent album, avait longtemps résisté à mes écoutes : un chant presque parlé, une certaine rugosité des textes, une musique libre… Pour un popeux comme moi, c’était dur.
Et puis finalement, un jour, comme ça, lors d’une énième réécoute, j’avais été saisi, pour ne plus pouvoir ressortir de ce bijou d’album. Vous savez, c’est comme lorsque l’on regarde un de ces fameux trompe-l’œil où l’astuce n’est pas perçue immédiatement, puis que l’évidence jaillit, sans qu’on l’ait provoquée d’ailleurs ; on ne comprend ensuite pas comment tout cela avait pu nous échapper au premier regard. Finalement, ce qui m’a rebuté au départ avec Iaross est donc ce qui maintenant m’attire, de façon irrémédiable et addictive : cette espèce de protestantisme musical, à l’austérité rendue lumineuse par endroits, grâce à des saillies de feu.
L’entrée dans ce 3ème album a donc été immédiate, comme si j’avais déjà les clés de la maison. Chaque chanson me semble conçue comme un petit univers en soi, une sculpture en temps réel effectuée devant nous à partir d’une pierre brute. Il y a de quoi se régaler au fil des écoutes. Je trouve toutefois que moins de chansons aurait été préférable, non qu’une chanson m’ait déplu en particulier, mais je crois que l’album aurait gagné en impact en étant plus court. Il s’agit de mon seul bémol car pour le reste, il y a de quoi être conquis.
Il y a notamment cette batterie et ces percussions de Germain Lebot, à la démarche batteuristique très personnelle, et qui m’avait posé question quelque temps : en fait il est clair qu’il est l’électron libre du groupe, celui qui souligne les reliefs musicaux grâce à ses ornementations rythmiques qui parfois éparpillent, parfois recentrent, mais racontent toujours des histoires dignes d’intérêt, comme lorsqu’il « déjoue » en mode hip hop glitch. La sensation de liberté laissée à la batterie est accrue par l’absence de basse, qui classiquement appuie les coups de grosse caisse (oui bon j’ai déjà dit que j’étais un popeux, hein ?). L’équilibre entre ce batteur sans filet et les deux autres protagonistes (Nicolas Iarossi et Colin Vincent), monolithes implacables et imposants jetés sur la scène tels deux masses de granit, est trouvé. Il est unique. Et oui, bien sûr, je mêle ici aussi bien mes impressions comme spectateur de concert que comme auditeur d’album.
Revenons à l’album justement ; en continuité du précédent, on est souvent avec « Le cri des fourmis » à l’os, à l’essentiel. L’os oui, mais Iaross nous offre aussi la douceur de la moelle (si vous avez faim après ce papier, c’est normal), grâce notamment aux superbes parties de violoncelles jouées à l’archet (la fin de « Tes pas » par exemple).
La palette sonore proposée par Iaross est étonnante, les touches visent juste et sont délicates, parfois monochromes, parfois colorées, finalement l’approche est impressionniste, picturalement parlant.
On croit avoir entendu le meilleur avec « Trace » et « On va oublier », quand vient « Faut pas rêver », qui, loin d’être un hommage à France 3, nous emmène dans cet ailleurs où Nicolas Iarossi semble vivre. La guitare floydienne (période années 70, pas 80) de Colin Vincent y est d’ailleurs du meilleur goût.
Enfin, la dernière chanson « Nous nous sommes », qui écoutée comme ça, pourrait paraître naïve : des mots tous simples scandés, des nappes de synthé rachitiques et désaccordées jetées en pâture à l’auditeur. Mais pour avoir entendu une fois cette chanson sur scène, je puis dire que la sincérité du bonhomme est telle que la chanson touche en plein cœur, dans un silence absolu du public. C’est là qu’on la comprend.
S’il est vrai qu’avec Iaross, on se rapproche plus vocalement du slam que du death metal, on est tellement éloigné du slam à papa avec sa musique-jazzy-qui-va-bien-et-qui tache-pas que réduire le style du groupe à cela n’est pas leur rendre justice. Disons que Iaross (sur scène de façon certaine), c’est quelque chose que vous n’avez jamais entendu. Voilà qui est plus proche de la réalité.
Volin : « Volcan » en éruption créative
Vous parler de Volin de façon rationnelle sera plus difficile pour moi, tellement ce groupe a chamboulé ma façon de concevoir la musique. Autant se l’avouer, je suis devenu un vrai groupie et j’ai perdu toute ma dignité. Il m’est impossible donc de vous dire si l’album est bien ou pas : je n’arrive pas à l’écouter en tant que tel, car mon écoute se mêle au souvenir ému que j’ai des chansons jouées en concert. Pire, étant donné que je les ai connus par la scène où j’ai pris 10 bonnes grosses claques bien nettes et bien franches (sur les 12 concerts auxquels j’ai pu assister), j’ai donc l’impression que l’album ne rend pas hommage à ce qu’ils sont en vrai. Mais peut-il en être autrement quand un groupe est à ce point jouissif en live (dois-je préciser qu’il ne s’agit que de musique ?) ? A ce stade, je ré-entends mon patron de la FNAC qui me disait si gentiment : «mais arrête de dire aux clients que les CD sont moins bien que les groupes en concert, bon sang, tu es là pour vendre des CD !! » … il m’a viré….
Il me semble toutefois évident que celui qui n’a jamais vu ou entendu Volin sur scène ne pourra qu’être conquis par cet album : musiciens géniaux et matures, les Volin proposent une musique généreuse.
Comment ne pas tomber raide à l’écoute de la chanson « Volcan », qui est, je pèse mes mots, un bijou ? Pas innocent qu’ils aient choisi ce titre pour leur album et pour leur premier clip, à la véritable beauté esthétique. A ce propos, qui à l’heure actuelle propose un clip lent, sur une chanson lente et longue (6 min30), en guise de 1er extrait pour un 1er album ? Eux.
Cette simple démarche en dit long sur leur positionnement musical, sur leur intégrité. J’y vois une démarche pastorale d’artisans musicaux qui façonnent leur ouvrage depuis des années et veulent le présenter le mieux possible selon eux.
La chanson « Secousses » me fait penser quant à elle à la chanson « Machine gun », issue de la référence absolue qu’est l’album « Third » de Portishead, avec ce côté dur et jusqu’au-boutiste.
On ne peut pas s’ennuyer avec Volin, on est toujours pris en charge : la voix s’adresse à vous et vous seul, les arrangements sont une source inépuisable d’intérêt pour l’auditeur («La tête haute »). Qu’on se comprenne bien, je ne suis pas en train de dire que leur musique est compliquée. Je ne fais pas l’apologie ici des groupes de musicos qui s’éclatent en déluges stériles de notes pour se faire plaisir (Uzeb et Dream Theater si vous nous lisez… !), mon boss de chronique Cédric Quéniart, qui s’occupe de ce webzine, ne le permettrait pas ! Non, les musiciens de Volin sont des gens exigeants et de goût, et savent s’arrêter quand il le faut (soit tout le contraire des groupes sus-nommés)!
Colin Vincent le chanteur, pour qui mon admiration est totale, a l’expressivité des plus grands. Un tel chanteur dans un tel style musical marqué indie rock, j’en vois pas vraiment d’autre en France. Louis Jean Cormier ? Il est canadien. Ghilhem Valayé de 3 minutes sur Mer peut-être? En tous les cas, ce grand garçon à l’accent du Sud, aux gestes timides en dehors de la scène et à l’attitude débonnaire qu’ont les gens simples, se transforme en chanteur ultra charismatique avec une guitare et un micro entre les mains. Bon sang, mais je reparle de la scène encore ? Vous l’aurez compris, l’album n’est qu’un medium momentané pour les faire exister, là où ils sont le mieux, en live. C’est là que Maxime Rouayroux (le batteur) devient un véritable animal derrière ses fûts. A la fois ultra précis et instinctif, ses parties batterie sont de véritables pièces d’orfèvre. C’est là aussi que Romain Delorme (le bassiste claviériste, qui propose des parties de basse superbes), alterne virtuosité et jeu subtil, en se comportant comme un félin ; ce gars-là possède l’élégance naturelle des musiciens qu’on aime voir et entendre.
Voilà à peu près tout ce que j’ai à dire sur Volin, pourquoi en rajouter ?
Iaross et Volin : ma déclaration d’amour
La performance, c’est qu’on oublierait presque que Iaross et Volin sont des trios… A croire que le trio est la forme ultimement désirable pour un groupe de musique de nos jours. On est en droit de se poser la question tant cette formule laisse à la fois de la place au silence si besoin, ou à une musique compacte et explosive. Et certaines fois, en fermant les yeux j’entends 6 musiciens, si si.
Ces groupes me donnent envie, envie d’avoir envie de mots, de musique, de spontanéité, de vie. De travail aussi, d’exigence. Écouter et côtoyer de telles personnes poussent à vous rendre meilleur. Somme toute, on l’a bien compris, ce papier n’était pas une chronique, ni un témoignage, mais bel et bien une déclaration d’amour.
Je conclurai avec ces mots de Théodore Adorno, magnifiquement rappelés en conclusion du disque « Il ne Peut y Avoir de Prédiction Sans Avenir » de RIEN (autre groupe qui m’a tant ému):
« Avec la liberté de celui que la culture n’a pas entièrement englouti, le vagabond de la musique ramasse le morceau de verre qu’il trouve sur la route et le tend vers le soleil pour en faire jaillir mille couleurs. »