Dans trois dodos, mon fils fêtera son deuxième anniversaire. Pour l’instant, il roupille, tétine en bouche, doudou enlacé, petit croissant de lune ensommeillé. Il dort comme un bienheureux, ses minuscules poings serrés, ignorant tout du calvaire qui l’attend. Avez-vous déjà imaginé ce que les enfants doivent endurer le jour de leur anniversaire? Non. Bien sûr. Vous n’y avez pas pensé. Parents égoïstes, papys gâteau, mamies gaga, vieilles tantes acariâtres, tontons farceurs, mémères pinceuses de joues, vous ne voyez pas le mal dans ces insouciantes célébrations. En toute naïveté, vous supposiez, puisqu’on ne vous l’avait jamais dit et que vous ne vous étiez jamais posé la question, que l’enfant jubilait à l’idée de ces innocentes et guillerettes célébrations. Laissez moi vous dire que vous vous fourrez le doigt dans l’œil. Si le petit dernier avait ne serait-ce que quelques éléments supplémentaires de vocabulaire à son actif, il vous enverrait probablement vous faire cuire un œuf ou vous faire voir chez les Grecs. On ne saurait lui donner tort. Trouveriez-vous amusant de vous retrouver à sa place, engoncé dans une tenue inappropriée – noeud papillon en plastique autour du cou, pullover tricoté par la grand-mère et qu’il faut absolument arborer le jour fatidique – à retenir votre souffle, le nez à quelques centimètres d’un dessert chocolaté, guettant le top-départ d’une nuée de paparazzi hystériques? Clic. Clic. Clic. Clic. Clic. Attends, attends, souffle pas…Et merde. Petit con. Il a soufflé. Allez, on recommence. Et tu souffleras quand on te le dira, sale morveux. Chaque journée est un shooting infernal. La vie est un roman-photo, une succession d’images qu’on tire sans y penser et qu’on ne verra jamais. Clichés morts-nés dans les entrailles d’un appareil numérique et qui ne s’impriment jamais dans la mémoire. Le temps perdu qui ne reviendra plus. Avec les appareils instantanés, au moins, le passé et le futur se rencontraient en un point précis, laissant une trace sensible de la vérité du moment. En cela, la musique de Polaroid3 est éminemment photographique.
Le trio développe un univers à la croisée des chemins, à la fois ultra-référencé et pourtant indéniablement unique. Revendiquant les influences de Nico, Sonic Youth, Kate Bush ou encore Portishead, Polaroid3 crée un répertoire mouvant, étrange et fascinant porté par la voix caméléon de Christine Clément, les nappes synthétiques envoûtantes et les rythmiques fougueuses et obsédantes de ses acolytes. Le trio puise dans les expériences diverses de ses membres, de la musique improvisée au post-jazz en passant par le rock, assez d’énergie et de finesse pour échapper à toute classification hâtive et à toute lecture univoque. Les quatre titres de Rebirth of Joy sonnent comme une ode musicale à la liberté, une promenade fantasmatique dans des méandres hallucinés. Christine Clément, apparition diaphane et fugace, chante ses propres mots et ceux d’Emily Dickinson et plonge l’auditeur dans un état profond de rêve éveillé. Comme devant un film de David Lynch, on voit les frontières de la réalité s’estomper et il n’est rien que l’on puisse faire pour échapper à cette douce perte de contrôle. La voix de la chanteuse se métamorphose à l’envi, brouillant toutes les pistes. La beauté kaléidoscopique de Polaroid3 est de celles qui s’impriment durablement. Un mouvement éphémère qui laisse une marque indélébile. A une époque où le terme “pop” est tellement galvaudé, la perfection en la matière relève d’un numéro de funambule. Atteindre cet équilibre précaire qui (re)donne naissance au plaisir est un défi que seuls les meilleurs peuvent relever sans égratignures. Polaroid3 s’en acquitte avec une stupéfiante maîtrise. C’est la marque des très grands et, sans aucun doute, l’acte de naissance d’un groupe sur lequel tous les objectifs devraient bientôt se focaliser.