Au commencement, il y avait une oreille. Mettez-y ce que vous voudrez. De la bonne musique, de préférence. Elle était là, dans un champ, au milieu de nulle part. Nulle part, comme Lumberton, Caroline du Nord. C’est là que ça se passait, allez savoir pourquoi.
Méfiez-vous de l’eau qui dort, des habits qui ne font pas le moine, de l’arbre qui cache la forêt. Méfiez-vous de ce qui se passe derrière les façades sages et anodines ou derrière les volets mi-clos. Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être.
Prenez la pop, par exemple – vous savez, cette petite chose légère et sautillante qu’on sifflote, sans même s’en rendre compte, sous la douche ou sur le chemin du travail. Ça a l’air de rien, comme ça. Mais ajoutez-y quelques dissonances, des rythmiques un peu plus obsédantes que de raison, une voix aux confins du réel, et les rivages de l’étrange ne sont déjà plus si éloignés.
Si la musique de Grindi Manberg a une gueule d’atmosphère, c’est parce qu’elle s’est construite, en grande partie, dans les salles obscures. Il faut être obsédé par le cinéma pour choisir un nom de scène qui soit l’exact anagramme d’Ingrid Bergman et un titre d’EP puisé dans la filmographie lynchienne. Il faut certainement être passé du côté obscur de la force pour proposer un univers aussi hanté.
Richement référencée, peuplée de fantômes coldwave, vénéneuse, torturée, tortueuse, la musique de Grindi Manberg est un antidote à l’électro-pop sucrée et gentillette des indie kids. Aussi angoissante que fascinante, elle donne la chair de poule, convoque les esprits, pousse l’auditeur dans ses retranchements, dans un état proche de la suffocation. L’évidence mélodique n’est jamais loin mais il y a toujours ce pas de côté qui rend l’univers de Grindi Manberg si singulier. On en sort les yeux – et les oreilles – écarquillés, un peu malmené mais, au moins, on se sent vivant.