J’ai interviewé: VUM

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Jennifer Pearl et Christopher Badger, alias VUM, sont les auteurs de ce qui est probablement ma plus grande claque musicale de l’année, le magnifique et hypnotique album Night Sun, une expérience sonore hors du commun qui, si les gens savaient ouvrir leurs écoutilles, devrait propulser le duo dans les plus hautes sphères de la musique indé. Suite à ma critique de l’album, Le groupe que les autres écouteront dans un an – Ep.14 , le couple, à la scène comme à la ville, a accepté de répondre à mes questions. Il est question de culture traditionnelle tahitienne, de vinyle sans plomb, d’Apocalypse  Now et de trouver une agence pour les représenter en Europe…A bon entendeur!!!

L’album Night Sun est en grande partie inspiré par la Polynésie française. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et dans quelle mesure cette partie du monde vous a influencés?
Jennifer: L’inspiration pour l’album est venue de sources variées qui semblaient toutes se fondre en un point de liaison commun, bien que leurs origines soient apparemment distinctes. L’automne dernier, j’étudiais l’écologie tropicale sur l’île de Mo’orea, en Polynésie française. Alors que mes études portaient sur la biologie et la géomorphologie de l’île, j’ai développé un intérêt pour la culture tahitienne, en particulier la culture musicale et la situation étrange d’une culture colonisée opérant sur ses îles tout en ayant le statut de collectivité d’outre-mer. En parallèle, je lisais le roman de Joseph Conrad, Au cœur des Ténèbres, et quand j’ai attrapé la fièvre dengue, je suis restée coincée plusieurs jours à regarder Apocalypse Now entre les délires fiévreux. Tout l’album parle de ces concepts troubles, de la manière la plus directe et évidente sur le titre The Jungle aux thèmes de l’idolâtrie et du contrôle indigène sur Strange God ou encore au sortilège amoureux malaisien (adapté) Remember Me. Le titre Savage, quant à lui, a été écrit du point de vue du Capitaine Benjamin dans sa traque du Colonel Kurtz dans Apocalypse Now. Comme tous ces thèmes continuaient à dominer mon écriture, j’ai décidé d’y incorporer les enregistrements terrain que j’avais faits de musiciens de rue tahitiens et de chœurs d’églises.
Christopher: Pendant que Jennifer était à Mo’orea, j’étais à la maison à Los Angeles, absorbé par la lecture du Rameau d’Or de J.G. Frazer. Pour peu qu’on ne s’arrête pas à ses préjugés chrétiens eurocentristes, le livre est plein de descriptions belles et étranges des rites et des rituels du monde entier. Quand Jennifer est revenue à LA et que nous avons commencé à écrire ce qui allait devenir Night Sun, nous nous sommes tout de suite rendus compte que nos têtes étaient remplies d’idées qui s’imbriquaient et qui commençaient à se manifester dans notre travail. Nous n’avons pas cherché à écrire un concept-album mais, au fil du temps, certains thèmes et certains motifs ont fait surface. Alors nous nous sommes juste laissés porter.

Votre album est conditionné dans un emballage écologique et une partie des recettes de la vente sera reversée au Centre Atitia. Pourquoi cette démarche vous tenait-elle à cœur?
Jennifer: En tant que producteurs d’objets, il était important pour nous d’utiliser des matériaux aussi écologiques que possible. Cependant, nous produisons du vinyle, qui est un dérivé du pétrole et j’essaye de contrebalancer les effets négatifs du pétrole en utilisant des pochettes en papier recyclé, de l’encre à base de soja et des modes d’expédition basés sur la compensation des émissions de CO2. J’ai entendu parler de tentatives de chimie verte pour produire du vinyle propre et d’un PVC qui existe en Europe sans plomb, sans cadmium et sans toluène. Pour cette raison, nous avons envisagé un moment de produire les albums en Europe mais nous avons dû prendre en compte les effets de l’expédition de disques très lourds. Amenez le PVC sans plomb aux Etats-Unis!

Le Centre Atitia est un centre culturel extraordinaire fondé par une femme qui l’est tout autant, Hinano Murphy. Il est situé à côté du centre de recherche Gump sur l’île de Mo’Orea et sert de point de rencontre entre la recherche scientifique de pointe, la culture traditionnelle tahitienne et l’éducation.

Le disque sonne le plus souvent comme une bande originale de film. De quelle façon êtes-vous influencés par le cinéma et quels films aviez-vous en tête?
Jennifer: Je trouve intéressant que tu aies cette impression. Note intention avec ce disque était de faire explorer à l’auditeur la dense végétation des latitudes humides. Le thème de l’album a été fortement influencé par l’histoire et le contenu visuel du film Apocalypse Now de Francis Ford Coppola.

Comment travaillez-vous sur de nouvelles chansons? Est-ce que vous avez d’abord les images en tête avant de les traduire en musique et en mots?
Dans ce projet, les chansons sont apparues de beaucoup de manières différentes, parfois en rêves, parfois spontanément pendant les répétitions, d’autres fois comme la réponse sonore à un sentiment ou une idée que j’ai eu. Une fois que la chanson est conçue, son exécution est le résultat d’un mélange d’histoire et d’images que j’ai à l’esprit.
  
Comment expliquez-vous qu’en dépit du minimalisme de votre musique, vous soyez capables de créer des images aussi évocatrices dans l’esprit des auditeurs?
Jennifer: Je suis ravi que nos chansons produisent cet effet. Mais honnêtement, je ne sais pas comment ça arrive.
Christopher: Le truc, c’est de ne pas rompre le charme. Au moment de l’écriture, je fais très attention à ne pas faire de mouvements soudains, à ne pas faire de changements superflus ou grandiloquents. Je veux plonger l’auditeur dans un état proche de l’hypnose.

Par quels groupes ou artistes êtes vous influencés?

Christopher: J’aime beaucoup le travail de Steve Reich, La Monte Young, Brian Eno, en particulier ses collaborations avec Robert Fripp, les collages Verifax de Wallace Berman, John Cale, la période tardive de Nico sur Desert Shore et The End, Giovanni Anselmo, Georges Bataille, Buckminster Fuller, Alvin Lucier, Borges. J’aime beaucoup la dernière période des poèmes de Borges à partir du moment où il commençait peu à peu à perdre la vue. La Rose profonde me donne des frissons. Je pourrais continuer encore et encore.

Jennifer: La liste est trop longue pour être publiée mais, au sommet, je dirais : Can, Suicide, Siouxsie & the Banshees, Harmonia, Crime & the City Solution, Tom Ze, Os Mutantes, Captain Beefheart, Stacy Sutherland de 13th Floor Elevators et, bien sûr, les musiciens de rue tahitiens.
Avant VUM, vous faisiez tous les deux partie d’autres groupes. C’est comment de travailler ensemble maintenant? Est-ce que vous vous sentez totalement libres de jouer la musique que vous voulez?
Jennifer: Il y a toujours une restriction dès lors qu’on travaille avec une autre personne. Aucun de nous deux ne parvient à mettre en pratique toutes ses idées mais je pense que nous avons tous les deux tiré profit de notre influence mutuelle.

Christopher: Nous sommes tous les deux des têtes de mule et des maniaques fanatiques hyperactifs avec des idées très arrêtées sur la façon dont les choses devraient se passer. Ça met le bazar par moments mais, au final, le tout est bien meilleur que la somme des ses parties.

J’apprécie beaucoup l’album Badlands de Dirty Beaches et je trouve qu’il est assez proche de ce que vous faites musicalement. Est-ce que vous le connaissez et que pensez-vous de cette comparaison?
Jennifer: J’ai découvert récemment la musique de Dirty Beaches et j’aime beaucoup ce qu’il fait. Il me semble que nous nous partageons beaucoup d’influences communes, comme le son No Wave ou les débuts du rockabilly.

Christopher: Clairement, nous avons des influences communes. J’aime bien son album mais nous ne nous connaissons pas personnellement.
Quelle est la suite pour vous? Allez-vous partir en tournée? Travaillez-vous sur  un nouveau projet?
Jennifer: Nous avons commencé à travailler sur le prochain album. Nous sommes en train de discuter les droits de distribution. Nous jouons sans arrêt à Los Angeles et espérons  prochainement mettre en place une tournée européenne pour Night Sun. En ce moment, nous recherchons une agence artistique pour nous représenter en Europe.

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