Je vieillis à un rythme tout à fait conventionnel, me disait un ami au jour de mon trente-deuxième anniversaire, poursuivant mon petit bonhomme de chemin tout doucettement vers une mort inéluctable. Je gagnerais peut-être, je vous le concède, à m’entourer d’individus bienpensants, moralement respectables et suffisamment hypocrites pour me dissimuler les pires vérités. Au lieu de cela, il a fallu que je m’acoquine avec un bras cassé cynique, rétif à la modernité, auteur de nouvelles hurluberlubuesques et, le soir venu, distributeur de bouchons de vodka. Comme, en plus, il s’était récemment replongé dans la bibliographie de Michel Houellebecq, il était au sommet de son art. Parangon de sincérité, appuyeur là où ça fait mal, diseur de vérités pas toujours bonnes à dire. Un sublime enfoiré. Un merveilleux connard. Un vrai pote comme on n’en fait plus. Pendant que, d’une main, il malmenait mon foie en faisant, de l’autre, des confetti de mes illusions d’éternité, je pensais aux lendemains qui déchantent et aux matinées qui dessaoulent. A mon corps qui dit non, à mes petites agonies. Arrêter de vivre pour retarder la mort? Impossible. Quel autre remède à la tête qui explose, aux entrailles qui se vident? Paracétamol, mon amour, je t’enfile trois fois par jour…mais la douleur est toujours là. Bourdonnement mental, secousses de perceuse au plafond, pluie qui cogne sur les fenêtres. Ne pas sortir du lit, s’enfouir sous la couette, se réfugier dans sa carapace et se soigner le crâne à petites touches de mélodies calmes et spacieuses. Découverte à la fin de l’été et victime de ma procrastination chronique, la musique de Starred était restée quelque part dans un coin de ma tête, n’attendant que la prochaine gueule de bois pour refaire surface. Le remède imparable pour guérir les bleus au corps et les vagues à l’âme.
Si vous venez de vous en prendre plein la gueule, si vous pensez comme Gainsbourg, que la vie ne vaut d’être vécue sans amour, si vous vous sentez écrasé par le poids de la vie comme un piéton imprudent par un 36 tonnes, vous ne pouvez qu’être emporté par ces chansons peuplées d’absences, vous ne pouvez qu’être happé par ces titres qui font le deuil de ceux que l’on a aimés puis perdus. Chez Starred, la voix d’ange déchu de Liza Thorn vient habiller de toute sa sensuelle mélancolie les no man’s lands sonores de Matthew Koshak. Comme dans un road-movie en slow-motion, elle erre dans des paysages lunaires et désertiques, faisant retentir l’écho de ses lamentations crépusculaires. Lascive, addictive, fantomatique et désabusée, la musique du duo est une onde sensuelle insaisissable et évanescente, à la fois ici et ailleurs, méditative et électrisante, sombre et lumineuse. Le poison et l’antidote dans une même seringue. Ex-acolyte de Christopher Owens (la moitié de Girls), Liza Thorn, après plusieurs aventures musicales sans grands lendemains, abandonne l’exubérance passée pour un chant tout en retenue parfaitement mis en valeur par son compère. Il y a, chez eux, quelque chose qui rappelle indéniablement Mazzy Star. Il y autre chose aussi, quelque chose de diffus qui traverse leur musique. Un je ne sais quoi de foutraque et de désenchanté qui les fait sonner comme des prophètes ou des survivants de la fin du monde. C’est le son des plaies et des blessures, la réponse de ceux qui s’en sont pris plein la gueule, qui auraient pu mille fois abandonner, laisser tomber, tout foutre en l’air mais, qui à la fin, sont les derniers à tenir encore debout.