Où il est question d’avoir 17 ans, de se croire immortel, d’avoir l’âge de ses artères et de croiser son ex au supermarché…
On n’est pas sérieux quand on a 17 ans. On a toute la vie devant soi, mais la vie, on s’en fout avec des yeux des myopes. La vie, elle pourrait aussi bien s’arrêter demain, mais demain, on s’en fout, on y pensera demain. Pour l’instant, aujourd’hui n’est pas encore fini, la bouteille n’est pas vide et cette fille nue qui partage notre lit sera vite oubliée.
On n’est pas sérieux quand on a 17 ans. On a sous le crâne des volcans qui ne demandent qu’à jaillir. On n’écoute pas ce qu’on nous dit, on n’en fait qu’à nos têtes. On n’a pas vu grand-chose mais on croit tout savoir. On se croit immortel. On boit, on baise, on se défonce jusqu’au lever du jour. On a des rêves plein la tête mais aucun dans lequel on vieillit. On n’aura jamais une femme et des enfants, un crédit sur le dos, un boulot à plein temps et un chien à promener. On se moque bien des vieux, qui mènent une vie normale. On ne vieillira jamais quand on a 17 ans.
Si un groupe incarnait à merveille cette incandescence juvénile, c’était bien The Libertines. On entrait dans un nouveau millénaire et, dans un mélange de grâce et de chaos, la comète Barat-Doherty déferlait sur l’Angleterre et le monde, offrant au rock moribond ses derniers soubresauts. A côté des pâlichons Arcade Fire ou des proprets Strokes, ça vous avait un petit air branleur, négligé, j’men-foutiste, scandaleux – rayez les mentions inutiles – plutôt revigorant. Ils ne réinventaient pas la roue mais, quand même, les mecs écrivaient des putains de bonnes chansons et, en plus, ils avaient ce supplément d’âme que certains appelleront l’attitude, et qui faisait que vous les adoriez ou que vous les détestiez. Moi, je faisais partie de la première catégorie.
Et puis, englués dans leurs frasques, devenus leurs propres caricatures, ils ont fini par se séparer. C’était fini, on s’y était fait. On continuait à suivre de près ou de loin les errances de l’un ou de l’autre, mais on croyait dur comme fer que The Libertines étaient morts et enterrés. Jusqu’à ce que, 12 ans plus tard, la rumeur fasse son chemin. Barat et Doherty, enfin rabibochés, étaient prêts à sortir un nouvel album…
La chose s’appelle Anthems For Doomed Youth. Doomed, comme voué à l’échec. Titre prémonitoire, sans doute, pour un disque qui est aux Libertines ce que le Canada Dry est à l’alcool. Ça y ressemble, ça en a la couleur mais où est passée l’ivresse de jadis ? La production est bien trop lisse, bien trop parfaite, les aspérités qui faisaient le charme du groupe sont presque gommées. Oui, il y a de bonnes chansons, non ce n’est pas un marasme complet. Mais, disons que les Libertines ont l’âge de leurs artères. Dans leur musique, comme dans le clip de Gunga Din, ils apparaissent grisonnants et empâtés. A l’écoute, on ressent à peu près la même gêne que quand on croise son ex au supermarché et qu’on se rend compte qu’elle a pris vingt kilos. Bref, The Libertines, c’était (beaucoup) mieux avant.