A un jeune admirateur attiré par l’art de la critique musicale, je faisais remarquer que le quotidien d’un chroniqueur musical n’est en rien comparable à celui des artistes qu’il chronique. Grand écart N°1 : le chroniqueur musical possède chez lui un grand nombre d’instruments achetés ou chinés, qui garnissent ses étagères, mais dont il est strictement incapable de tirer le moindre son harmonieux. Crois-tu qu’un mec qui jouerait de la gratte comme Jimmy Page, de la batterie comme Keith Moon, de la basse comme Jaco Pastorius ou de la flûte comme Ian Anderson s’emmerderait à pondre des papiers que lisent uniquement son cousin, sa grand-mère et quelques oisifs égarés ? Non, s’il le pouvait, il userait de ces compétences enviables pour musicaliser ce qui lui passe par la tête, parcourir le monde et se taper des pelletées de groupies. Ce qui nous amène au grand écart N°2 : la vie sexuelle du chroniqueur n’a rien de celle d’une rock-star. Si vous en connaissez un qui traîne régulièrement à sa suite une armée d’admiratrices libidineuses, passez-moi son adresse. Deux ans, ou presque, que j’opère en ces lieux et force est de constater que je ne baise ni plus ni moins qu’avant. En deux ans, il n’est même jamais arrivé qu’une artiste désespérée me propose la botte pour gagner ma bienveillance. Par conséquent, jeune padawan, si tu aimes la musique mais que ce n’est pas réciproque et que tu es prêt à mener une vie ascétique dédiée à ceux que tu admires, deviens blogueur musical.
Voilà, maintenant que je viens de dégoûter à jamais toute une génération de blogueurs en herbe, passons aux choses sérieuses. L’un des avantages majeurs de cette activité est que l’on reçoit avant tout le monde une quantité de musique à laquelle on n’aurait pas accès sinon. De quoi alimenter son addiction pour toute une vie. Plusieurs sollicitations quotidiennes, parmi lesquelles il faut encore séparer le bon grain de l’ivraie, mais qui réservent parfois de fort belles surprises. La dernière en date : les indie bluesmen de BSMS.
Chers BSMS, je vous prie d’excuser cette entrée en matière un brin longuette et, qui plus est, en décalage certain avec l’objet de la chronique. Je promets qu’on ne m’y reprendra plus.
BSMS, encore un énième groupe adepte des alphabets sans voyelles ?, te diras-tu, ami lecteur. C’est aussi ce que je me suis dit en sortant ma panoplie d’angliciste du dimanche pour percer le mystère de ces quatre consonnes. Résultat : BOSOMS, littéralement des seins, que l’on imaginera, pour plus de facilité à se les représenter, fermes et plantureux. Et bien, non, après avoir mis le nez dedans, il s’avéra que je faisais fausse route et que BSMS était en réalité la contraction de Blue Shade Smoke Ring and the Magical Smile, soit, d’après mes calculs, Blue Smoke and the Magical Smile, ce qui en dit long sur l’état dans lequel les trois musiciens écrivent leurs chansons… ou pas. En même temps, la dernière fois que j’ai pratiqué le food-fight tels qu’ils le mettent en scène dans le clip de I left you, kid, j’étais passablement éméché et ça m’a valu d’être maudit sur quatre générations successives par mes trois colocataires de l’époque.
Et leur musique ?, te demandes-tu sans doute, non sans raison. Après ma dernière chronique, comme tu peux l’imaginer, j’éprouvais le besoin d’un sérieux décrassage auditif. Avec BSMS, voilà de quoi se remettre les esgourdes à l’endroit. Pas d’imposture, pas de masques derrière lesquels on se cacherait. Les trois compères avancent à découvert, unis par le plaisir de jouer ensemble et la sincérité de leur univers. Quand d’autres prétendent redonner vie à la musique, BSMS sort quatre Tiny Tunes imparables. Un mariage efficace entre le blues électrisant des Black Keys et le garage-rock potache et euphorisant des Black Lips. En bref, de quoi se sortir le cul du fauteuil et remuer frénétiquement jusqu’à épuisement. Une vraie cure de jouvence qui convinedra aussi bien aux nombreux amateurs d’effeuillage burlesque ou aux adeptes du food-fight qui se cachent certainement parmi vous…